
L’insulte « crétin des Alpes » m’était connue depuis de nombreuses années même si je ne trouvais pas cela très charitable pour les habitants des montagnes car, après tout, les crétins existent dans bien des régions. Mais je n’imaginais pas que cette expression prenait en fait racine dans une réalité historique et médicale sur laquelle Antoine de Baecque revient dans ce livre passionnant et très documenté, à travers l’histoire d’Eugénie.
Eugénie Loucher a 16 ans et vit à Saint-Véran avec son père et ses frères et sœurs. La fratrie compte trois crétins et le reste des enfants est goitreux. Comme beaucoup d’habitants de ces régions. Mais en ce mois de juin 1835, c’est Eugénie qui est choisie pour être admise à l’asile de la Salpetrière, à Paris, et pour devenir, comme plusieurs autres, un sujet d’étude mais aussi pour y recevoir une éducation.
Car le docteur Jean-Pierre Falret, en charge de l’asile, se sent investi d’une mission : comprendre ces êtres différents, leur apporter de l’aide, tenter de les guérir et peut-être éradiquer ce fléau qui touche un certain nombre de personnes.
« Les crétins sont laids, monstrueux, malheureux en apparence, mais ils ne sont ni abandonnés ni méprisés dans les villages des Alpes. »
Mais ne nous voilons pas la face, le Docteur Falret n’est pas un humaniste pur. Il cherche aussi une certaine reconnaissance et à assoir sa réputation grâce aux progrès que pourraient faire les enfants qu’il a choisies. Car le sort de ces crétins, crétines en l’occurrence car seules des filles ont été sélectionnées, excite la curiosité malsaine de la population et des bourgeois. Comme cela était déjà le cas pour les aliénées qui sont internées.
Eugénie devient d’ailleurs une attraction, notamment au cours de ce fameux bal des folles organisé chaque année et qui met en scène les internées de l’hôpital sous les yeux curieux et scrutateurs d’un public voyeur.
Mais le déracinement de ses montagnes natales s’avère néfaste pour Eugénie, comme pour ses petites compagnes, qui ne répondront jamais aux attentes du médecin. Celui-ci s’oppose bientôt à son fils, Jules, qui s’est attaché à Eugénie et n’est pas d’accord avec les méthodes de son père.
Ce livre est bref, comme la vie d’Eugénie. Mais que de tristesse contenue dans ces pages. Que le destin d’Eugénie est dramatique et inhumain.
Antoine de Baecque écrit l’histoire de manière très factuelle, mais le lecteur lira entre les lignes toute l’injustice liée au sort de la jeune fille ainsi que de toutes celles qui ont dû subir des internements souvent synonymes de traitements violents.
Et tout cela parait d’autant plus vain et cruel, qu’on a finit par découvrir que la maladie dont souffrait Eugénie n’était due qu’à une carence en iode et que peu de chose aurait pu faire basculer sa destinée.
Eugénie – Antoine de Baecque (Editions Stock – janvier 2020)
Ce livre me fait penser au Bal des folles, de Victoria Mas. Je ne me rappelle plus si tu l’as lu (?) 🙂
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Oui je l’ai lu, mais le bal ne fait l’objet que d’une toute petite évocation dans Eugénie. Mais c’est vrai que l’essentiel de l’histoire se passe encore une fois à l’hôpital de la Salpetrière
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Une présentation qui donne envie d’aller suivre cette médecine qui se cherche et qui experimente au détriment des malades. Un sujet qui semble traiter sur le plan de la relation au malade et non sur l’inégalité envers les femmes comme Le Bal des folles. J’aurais vraiment besoin de le feuilleter mais là, ça devra attendre. 😉
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Ce sujet des « crétins des Alpes » tient à cœur de l’auteur puisqu’il a aussi écrit Histoire des crétins des Alpes. Il a une véritable connaissance du sujet ce qui est passionnant dans l’histoire d’Eugénie. Et qui m’a manqué dans Le bal des folles qui est traité de manière beaucoup plus romanesque.
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