Laissez-nous la nuit de Pauline Claviere

28 avril 2017, 7h32, la vie de Max Nedelec bascule. Ce quinquagénaire, patron d’une imprimerie est arrêté et emprisonné. Parce qu’il doit 30 000 euros, parce que le bordereau justificatif de son paiement est introuvable, parce qu’il a refusé de mettre la clé sous la porte et triché avec les chiffres, il se retrouve condamné à vingt-quatre mois de prison. C’est long vingt-quatre mois. C’est 600 pages d’un premier roman percutant qui démantèle les rouages d’une prison qui déshumanise aussi bien ceux qui y sont enfermés que ceux qui sont là pour la gérer. 

Max est persuadé qu’il va sortir rapidement. Avec l’aide de Mélodie, sa fille, et de son avocat. Mais bientôt l’implacable justice ne va plus même lui laisser cet espoir. Et les murs se referment impitoyablement. Le voilà dans une cellule, puis une autre. Qu’il partage avec Ilan, un jeune Syrien que la prison brise au sens propre comme au sens figuré. Puis avec Sarko, le caïd de la prison, celui qui domine et terrorise. Puis avec Marcos, en proie à ses propres démons, schizophrène et drogué mais qui recèle malgré tout un fond de bienveillance. Max va faire l’apprentissage du monde de la prison, de sa violence, de sa lâcheté parfois face aux lynchages et aux brimades. 

« Je ne sais pas si ça compte, au fond, d’avoir mal, de souffrir. Ailleurs, peut-être. Ici, je sais que non. Ici, rien ne compte. Ici, les lynchages, les suicides, la mort en général sont une fatalité, une malchance, au pire, une maladresse. » 

Au milieu des prisonniers et de leurs gardiens surgissent des personnages venus de l’extérieur : la docteure Françoise Rosier, l’aumônier Nicolae Vladistov. Présents pour aider les prisonniers mais eux aussi abimés, maltraités par la vie. Et puis Mélodie, jeune femme combative et sûre d’elle. Et Gino, le neveu de Max, jeune avocat qui va se battre pour lui. 

Ce roman est rempli d’images chocs. La peur, la violence sont présentes à chaque page. C’est un livre qui possède une voix, un rythme particuliers et marquants. 

« Ils croient que je ne vois pas leurs regards qui m’épient, quand ils me pensent occupé à une autre discussion, ou perdu dans mes pensées. Leurs yeux tentent de déceler l’invisible, rencontrer une parcelle du mythe, trouver l’indice qui consoliderait le fantasme. Ils cherchent en moi ce monde qu’on leur a raconté. Celui qu’ils ont aperçu dans les reportages, la littérature, les témoignages. Une mythologie ancestrale, solidement établie au fil des âges, celle du bagnard, du cachot, du rebut, du condamné. » 

L’écriture de Pauline Claviere donne une force incroyable au récit et appréhende totalement ce lieu mortifère, hors du temps où d’autres lois règnent. On se prend à presque ressentir physiquement la pesanteur des lieux, la crainte, les coups, les odeurs, l’étouffement, le manque d’espoir, la haine. Toute cette inhumanité qui trouve à s’exprimer sous la plume de la romancière et qui nous captive et nous rebute tout à la fois. Un premier roman accrocheur et vertigineux.  

Laissez-nous la nuit – Pauline Claviere (Editions Grasset – janvier 2020) 

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