Les Bordes d’Aurélie Jeannin

Brune est juge d’instruction. Comme tous les derniers week-end de juin, elle rejoint la famille de son mari avec ses deux enfants, Hilde qui a 8 ans et Garnier, 4 ans. Comme à chaque fois, Brune se prépare à ce qui s’apparente pour elle à un calvaire : passer un week-end avec cette famille qui n’a aucune considération pour elle, qui ne l’aime pas. Et puis Brune doit composer avec une angoisse terrible qui l’habite sans cesse, celle qu’il arrive quelque chose à ses enfants, qu’ils soient blessés voire pire. Et dans la maison familiale des Bordes les dangers sont innombrables. On comprendra au cours de la lecture d’où vient la relation de Brune avec ses beaux-parents et surtout d’où lui viennent ses peurs de l’accident, de perdre ses enfants. Car Brune a de bonnes raisons de savoir que tout peut basculer en un instant.  

Que c’est sombre, que c’est angoissant. Brune est une jeune femme qui souffre à chaque seconde. De se croire être une mauvaise mère, d’aimer ses enfants avec tant de force qu’elle transforme cet amour en douleur, d’avoir l’impression de ne pas savoir faire naître entre eux un amour fraternel, de ne pas savoir gérer le caractère de sa fille qui a parfois des attitudes de petit tyran, de ne pas parvenir à protéger son jeune fils des persécutions de sa sœur, de ne pas être capable d’anticiper tout ce qui pourrait leur arriver. Bref, on l’aura compris Brune est une mère au bord de l’implosion qui se sent incapable. Et l’attitude de ses beaux-parents la conforte probablement dans cette idée. 

C’est un roman à la limite du dérageant par toute la noirceur qu’il dégage, par la toxicité qui semble émaner de chaque chapitre. Peut-être parce que l’auteure revient sans cesse sur cette ambivalence qui habite Brune d’être à la fois débordante d’amour et d’anxiété et d’avoir parfois envie d’être sans ses enfants qui sont à la fois son bonheur et sa souffrance.  

“ Elle ne parvenait pas à éviter de craindre qu’il n’existe un ordonnancement supérieur, un récit déjà écrit, qui obéirait à des lois stupides, qui ferait en sorte que le passé se répète fatalement. Elle savait le caractère infondé de sa superstition. Ils n’étaient pas elle. Les drames n’obéissaient à aucun régent. Mais pourquoi pas. Pourquoi pas deux fois ? Les Bordes lui semblaient aimer le malheur.” 

A cela s’ajoute pour Brune une autre problématique, celle de sa maladie. Car elle est atteinte de prosopagnosie. Bien plus que de ne pas être physionomiste, Brune ne reconnaît pas les visages, elle doit chaque jour recomposer son monde. Pour moi, l’auteure s’est ajoutée une contrainte supplémentaire qui n’apporte pas grand-chose au récit même si cela met le doigt sur la difficulté de vivre avec une telle maladie.  

J’ai été très partagée durant ma lecture entre profonde empathie pour cette femme au bord de la rupture et sentiment de trop plein comme si les couches d’angoisse que l’auteure ajoute à chaque page était de plus en plus difficile à emmagasiner. Mais cela est peut-être voulu car proche de ce que ressent Brune au quotidien.  

Pour finir, le dernier chapitre m’a semblé être en trop et ajouter encore plus de noirceur là où il y en avait déjà beaucoup. J’aurais préféré m’arrêter au chapitre précédent et peut-être ainsi avoir un instant d’espérance et de lumière.  

Il m’est donc impossible de trancher totalement sur le fait d’aimer ou non ce livre. Il m’a bousculée, mise mal à l’aise, ennuyée parfois. Mais en tous les cas pas laissée indifférente.  

 Les Bordes – Aurélie Jeannin (Editions Harper Collins – janvier 2021) 

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