
En ce samedi du mois d’août écrasé par la chaleur, Esther attend. Elle attend que ses quatre enfants, leurs conjoints et leurs enfants viennent déjeuner. Un déjeuner qu’elle a méticuleusement préparé pour réunir les membres dispersés de cette famille éclatée. Mais le temps passe. Ils n’arrivent pas. Certains se décommandent à la dernière minute, d’autres sont en retard. Et Esther attend. Espère. Esther veut renouer les fils qui se sont distendus à cause de non-dits, de secrets, de rivalités, de frustrations, de rancœurs. Esther veut avoir autour d’elle pour cette journée son rêve de famille.
Alors pendant qu’elle attend, elle remonte le cours du temps. Et on le remonte avec elle. Sa rencontre avec son futur mari, Reza, iranien qui fait alors ses études en France. Les naissances de ses quatre enfants, deux garçons et deux filles. La relation avec ses enfants, leurs relations avec leur père, la relation entre les membres de la fratrie. Les personnalités qui se construisent, en opposition souvent. Les liens qui se dénouent si rapidement, si facilement. Les dialogues qui se rompent, qui n’ont peut-être jamais éclos. Le découragement face à ses enfants devenus si étrangers à elle mais aussi les uns aux autres. Comment retisser la toile, recréer le lien, le resserrer pour qu’ils restent unis ?
« Il lui avait fallu trois enfants, trois départs, et la menace d’un quatrième pour comprendre ce que c’était qu’être mère. Le destin d’une mère, c’est de laisser partir ses enfants. De son ventre, de sa maison, de ses bras. Les douleurs de l’enfantement ne sont rien comparées à la douleur éternelle de la séparation. Mettre au monde ce n’est pas accoucher, c’est se laisser abandonner. »
Que ce livre est beau et tellement triste à la fois. Au début on se demande bien comment l’auteure va tenir sur près de 250 pages avec cette femme qui attend. Puis très vite on est happé. Par l’atmosphère lourde, pleine de nostalgie. Puis par le style de l’auteure, à la fois rempli de douceur à travers le personnage d’Esther, petite femme effacée qui a vécu pour ses enfants et qui ressent avec une intensité incroyable leur absence. Mais un récit aussi rempli de force quand il aborde les relations entre tous les membres de la famille, les révoltes larvées ou exprimées. Ce roman exprime à merveille ce besoin de trouver sa place au sein de la famille, les espoirs qui sont mis en chacun des enfants, qu’ils décevront sans doute. Les difficultés à exprimer ses sentiments, ce qui laisse toute la place aux incompréhensions. La distance qui s’installe parce que les parents ne sont pas à la hauteur, forcément imparfaits. On accompagne Esther dans ce long cheminement qui mène à cette journée qu’elle voudrait être celle qui dénoue tout, où la parole sera libérée. Mais cela est-il seulement possible quand les sentiments se sont à ce point ankylosés, que les rancœurs se sont à ce point cristallisées qu’il semble que la moindre parole pourrait être celle qui fait définitivement exploser les relations ?
Ce premier roman est sublime et bouleversant de bout en bout. Qu’on vienne d’une famille unie ou dysfonctionnelle comme celle décrite ici, on ne pourra que se retrouver parfois dans certaines situations. Dans cette espèce d’ingratitude enfantine, dans cette sorte de déception parentale, dans cette fragilité des liens. La conclusion amènera forcément des larmes aux yeux des lecteurs.
Les grandes occasions – Alexandra Matine (Editions Les Avrils – janvier 2021)
Une très belle lecture pour moi aussi !
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Je suis ravie d’avoir découvert à la fois une nouvelle auteure et une nouvelle maison d’éditions
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Oui c’est exactement ce que je me suis dit !! 😁
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Des liens parents-enfants toujours problématiques….
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