
Aaliya Saleh a soixante douze ans et les cheveux bleus suite à une mauvaise utilisation de son shampooing. Ancienne libraire, elle vit seule dans son appartement au cœur de Beyrouth où elle traduit, pour son propre plaisir, ses auteurs favoris selon un rituel bien établi. Femme indépendante, elle n’a jamais cédé aux carcans de la société libanaise. Aaliya se remémore un certain nombre de souvenirs, de sa jeunesse à aujourd’hui, avec une pointe de nostalgie mais non sans humour.
Les vies de papier fait partie de ces romans dans lesquels on plonge avec délectation et dont on émerge avec difficulté. C’est une ode à la littérature, mais aussi à la liberté et un chant d’amour pour un pays en guerre et meurtri.
« Je me suis depuis bien longtemps abandonnée au plaisir aveugle de l’écrit. La littérature est mon bac à sable. J’y joue, j’y construis mes forts et mes châteaux, j’y passe un temps merveilleux. C’est le monde à l’extérieur de mon bac à sable qui me pose problème. Je me suis adaptée avec docilité, quoique de manière non conventionnelle, au monde visible afin de pouvoir me retirer sans grands désagréments dans mon monde intérieur de livres. Pour filer cette métaphore sableuse, si la littérature est mon bac à sable, alors le monde réel et mon sablier – un sablier qui s’écoule grain par grain. La littérature m’apporte la vie, et la vie me tue. »
Le personnage d’Aaliya est attachant et on la suit avec plaisir dans ses déambulations au cœur de Beyrouth et de ses souvenirs tantôt mélancoliques, comme par exemple lorsqu’elle se souvient de son amie Hannah, tantôt plus drôles comme lorsqu’elle évoque la relation avec sa famille ou ses voisines. Le roman est plein de remarques très justes sur les relations amicales, familiales, sociales. Et si Aaliya vit seule, entourée de ses livres, on ne sent jamais chez elle la moindre aigreur mais bien au contraire plutôt une grande bienveillance même si cela ne vaut pas dire une grande naïveté.
Si la vie ne l’a pas épargnée, Aaliya a su conserver sa liberté sans jamais céder aux injonctions de sa famille, de la société ou aux commérages, construisant sa vie autour de la littérature et assumant d’avoir été quittée par un mari dont elle ne garde pas un souvenir mémorable. Elle jette un œil à la fois empathique mais sans concession sur ses contemporains mais aussi sur sa propre vie, ses choix ou ses manquements.
L’auteur se glisse avec délectation dans la peau de cette femme septuagénaire, qui ne cache rien de sa vie et de ses sentiments et qui rempli sa solitude de littérature. C’est un magnifique roman qui donne envie de découvrir l’œuvre de ce merveilleux conteur.
Les vies de papier – Rabih Alameddine / Traduction de Nicolas Richard (Editions 10/18 – août 2017) – Prix Femina Etranger 2016
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