Le cabaret des mémoires de Joachim Schnerf

Alors qu’il s’apprête à aller chercher sa femme et son fils à la maternité, Samuel, le narrateur, convoque les fantômes de son passé et plus particulièrement la mémoire de Rosa. Déportée à Auschwitz, Rosa est la grand-tante de Samuel. Une grand-tante comme un mythe familial car elle est partie s’installer aux Etats-Unis après la guerre où elle a ouvert un cabaret à Shetl City et a coupé les ponts avec sa famille et cette France qui l’a trahie. Dans ce cabaret elle se raconte soir après soir, elle la dernière survivante du camp de la mort, comme un ultime témoignage de ce qu’il ne faut jamais effacer des mémoires.

Ce roman profondément intimiste est évidemment un récit qui traite de filiation et de transmission. Samuel vit comme un besoin absolu le fait de vouloir raconter à son fils nouveau-né l’histoire la plus tragique de sa famille, comme un nécessaire passage de témoin alors que toutes les voix qui ont vécu ces atrocités s’éteignent petit à petit, rattrapées par le temps qui passe.

“Il fallait trouver des moyens de raconter autrement, la troisième génération devait être capable de s’affranchir du silence imposé par ses parents et chercher la façon la plus juste de prononcer l’imprononçable.”

Le récit alterne ainsi entre trois époques charnières. Celle vécue par Rosa à Auschwitz puis son arrivée aux Etats-Unis. Celle, présente, vécue par Samuel qui attend le levé du jour pour se rendre à la maternité. Et celle vécue par un Samuel enfant, en compagnie de sa sœur et de son cousin, avec qui il mettait en scène la recherche de Rosa dans une Amérique fantasmée transposée dans les forêts vosgiennes.

Le roman très court, se lit dans un seul souffle. Le personnage de Rosa est évidemment celui à travers lequel le lecteur éprouvera les plus grandes émotions. Elle est à la fois un élément de fascination pour les membres de sa famille restés en France et notamment pour les plus jeunes comme Samuel mais aussi, certainement un élément de souffrance et de culpabilité. On pense ici à son frère, le grand-père de Samuel qui a échappé à la rafle dans laquelle a été prise Rosa car il avait eu le temps d’être caché. On regrettera peut-être un peu que cette relation du frère et de la sœur ne soit pas explorée et que si Samuel montre de la curiosité vis-à-vis de cette grand-tante exilée il ne semble pas en avoir éprouvé face à son grand-père auprès duquel il a grandi, et qui a perdu sa famille.

On comprend évidemment les motivations de Samuel à vouloir transmettre l’histoire de Rosa à son fils, mais on se dit aussi qu’il ne peut pas lui transmettre que cela de son histoire familiale. Et c’est peut-être cet aspect qui manque dans ce récit, une ouverture vers l’avenir.

Le cabaret des mémoires – Joachim Schnerf (Editions Grasset – août 2022)

A lire aussi, la chronique du précédent roman de Joachim Schnerf Cette nuit

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6 commentaires sur “Le cabaret des mémoires de Joachim Schnerf

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