
Maud et Nancy Cunard, mère et fille, incarnent à elles deux une certaine image de la femme du début du XXème siècle. Riches, belles, intelligentes, séductrices, brillantes et surtout libres. Maud attire le tout Londres dans son salon et soutient les arts, surtout la musique. Nancy, qui fut notamment la maîtresse d’Aragon, immortalisée par Man Ray et écrivaine consacrât une partie de sa vie à lutter contre le racisme et le fascisme. Mais surtout, et c’est cet aspect qui est traité par Alexandra Lapierre, Maud et Nancy se vouèrent une lutte terrible, à coup d’écrits, de petites phrases assassines et de coups bas poussant au plus extrême la confrontation mère-fille.
Alexandra Lapierre mène ici un véritable travail d’enquêtrice pour nous amener dans l’intimité de ces deux femmes exceptionnelles à bien des égards. Sous la forme de deux dialogues que chacune d’entre elles mène (Maud avec une voix intérieure et Nancy avec son amie Diana), la relation entre la mère et la fille se dévoile. Les rancœurs, les frustrations, les querelles, les accusations remontent à la surface pour mettre au jour les dessous d’un lien aussi fort que destructeur.
Le portrait de Maud est peu flatteur : cynique, cruelle, d’une mauvaise foi sans égale. De son côté, Nancy paraît ici être plus victime que bourreau, subissant dans son enfance une mère qui la délaisse ou la traite en poupée, l’éloigne puis vient la rechercher pour en faire une espèce de double, la privant d’un amour et d’un soutient maternels indispensables. On n’est pas surpris que la fille se soit rebellée ! Et que, comble de la révolte et de l’outrage pour l’époque, elle soit devenue la maîtresse d’un musicien noir.
“Personne n’osait commenter le hasard de cette rencontre entre la mère et la fille. Nul, dans les hautes sphères, n’ignorait qu’elles ne s’étaient pas vues depuis près de treize ans. Et qu’elles se détestaient jusqu’à l’exécration. Leur brouille avait été rendue publique par un coup d’éclat de Nancy, un scandale dont Maud ne se remettait pas. Elle ne l’évoquait jamais. Never explain, never complain : ce silence était bien dans sa manière. Au point que l’on aurait pu la prendre pour un animal à sang froid, dépourvu de toute émotion, incapable du moindre sentiment.”
Et pourtant, Alexandra Lapierre nous laisse à entendre que ce n’est évidemment pas si simple, que la complexité de la relation n’a d’égale que la complexité psychologique de ces deux femmes qui ont dû aussi se construire dans une époque où ne pas accepter les conventions signifiait se soumettre au jugement des autres.
L’auteur nous livre ici un récit particulièrement intense, portée par deux femmes fortes au tempérament volcanique. Elle ausculte avec précision cette relation malsaine et ces femmes qui ne se contentent pas de vivre leur haine à huis-clos mais qui prennent le monde à témoin de leur affrontement et le mettent en scène dans des joutes épiques.
Cela donne envie d’en savoir plus sur l’une et l’autre de ces femmes, indépendamment de leur relation, sur leurs vies, les personnalités qu’elles ont croisées, les chemins qu’elles ont parcourus.
Avec toute ma colère – Mère et fille : le duel à mort – Alexandra Lapierre (Editions Pocket – mars 2019)
Tu as prévu de lire une biographie de chacune d’elle séparément ?
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Je pense que cela pourrait être intéressant. Il faut juste que je vois s’il en existe et lesquelles sont les meilleures
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