
Corrine et Russel Calloway forment un couple exemplaire, de ceux auxquels on a envie de s’identifier. La cinquantaine, Russel est un éditeur reconnu et respecté et Corrine a laissé tomber une carrière de courtière en Bourse pour se consacrer au plus démunis. Ils vivent avec leurs jumeaux au cœur de New-York et écument soirées caritatives, vernissages et dîners en ville. Mais le retour de l’ancien amant de Corrine, Luke, pourrait bien faire vaciller ce bel édifice. D’autant que nous sommes en 2008 et que la crise bancaire va les frapper de plein fouet.
On retrouve ici les personnages de “Trente ans et des poussières” et de “La belle vie”. Ils ont à présent 50 ans et s’ils sont bien installés dans la vie, ils doivent aussi composer avec l’érosion de leur couple, le quotidien épuisant, les batailles incessantes pour conserver leur train de vie et peut-être des envies différentes.
“Il ne pouvait s’empêcher cependant d’être impressionné par le tableau qu’il avait sous les yeux : il n’avait jamais été confronté à ce genre d’assemblée sophistiquée avant sa première soirée chez les Calloway, lors de son premier voyage à New-York. Sa mère ne recevait jamais, et les repas de famille, pour les fêtes, n’étaient que de déprimants passages obligés qui se terminaient d’ordinaire dans les larmes et les coups. Il n’aurait jamais pu imaginer alors un monde où des gosses à l’allure martiale se retiraient dans leurs chambres, tandis que des peintres et écrivains se saoulaient élégamment la gueule en buvant du bon vin, parlaient de politique, et pas de sport, et disaient pis que pendre de leurs semblables.”
Jay McInerney prend de nouveau le prétexte d’un événement qui touche les Etats-Unis et le monde pour y plonger ces personnages et mettre en perspective leur vie personnelle à l’aune des bouleversements sociétaux. Le krach de 1987 était ainsi la toile de fond de Trente ans et des poussières et les attentats de 2001 celle de La belle vie. Ici c’est donc la crise de 2008 et l’élection d’Obama à la présidence qui servent de fil rouge à l’auteur.
C’est comme à chaque fois avec Jay McInerney passionnant, extrêmement vivant, légèrement mélancolique. La proximité avec les personnages qu’on suit depuis les années 1990 est immédiate et on a réellement l’impression de les avoir quittés la veille. On renoue ainsi le fil de l’histoire à travers une galerie de personnages attachants qui composent l’univers des Calloway.
“Comme un rire nerveux, les hourras et les cris de victoire qui emplissaient les rues de Manhattan et le reste de la ville lui semblaient masquer une angoisse profonde. La période de prospérité des vingt dernières années arrivait manifestement à sa fin et le pays était toujours en guerre. Il était difficile de penser qu’un seul individu, quelle que soit sa couleur de peau, pourrait les sortir du gouffre de ténèbres où ils étaient enfoncés. Mais pour l’instant, Russell et ses amis choisissaient d’y croire…”
L’auteur ausculte avec précision l’intimité de chacun et les liens amoureux et conjugaux. Il ne donne le mauvais rôle à aucun des deux, chacun ayant de bonnes raisons d’agir comme il agit ou étant identiquement coupable d’une relation qui s’est étiolée. Les épreuves traversées sont alors autant de possibilité de rompre pour toujours ou au contraire de renforcer les liens selon la manière de les appréhender.
Et si ce roman est effectivement la chronique un brin désabusée des jours enfuis, il ne signe peut-être pas la fin de ce couple que le lecteur accompagne depuis vingt-ans. En route pour un quatrième volet qui nous amènera vers une Corrine et un Russel sexagénaires voire septuagénaires ?
Les jours enfuis – Jay McInerney / Traduction de Marc Amfreville (Editions Points – mai 2018)
Une série que tu suis toujours avec autant de passion.
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