Là où je nous entraîne d’Isabelle Desesquelles 

Encore enfant, la narratrice perd sa mère. Elle sera élevée, avec sa sœur, par sa tante. De ce deuil impossible va naître un roman, mettant en scène une famille elle aussi confrontée à une perte irréparable. En écho à sa propre histoire et à cette blessure qui ne se referme pas, Isabelle Desesquelles fait naitre quatre personnages : Louis, Zabé, Rachel et Paulina qui vont lui permettre de dire sa propre douleur.  

La lecture de ce roman a provoqué trois réactions très marquées au fil des pages. Tout d’abord, l’impression de se perdre entre le roman proprement dit et ce qui est de l’autobiographie de l’auteure. Cette navigation entre l’histoire personnelle et celle des quatre personnages inventés a nécessité un petit temps d’adaptation, heureusement assez court, et cela même si la maison d’édition a pris soin d’utiliser deux polices de caractères pour bien différencier les deux niveaux de récit.  

Ensuite est venue la compréhension de l’intensité du texte et de l’émotion qu’il recèle. La gymnastique mentale entre les deux histoires est alors apparue dans toute son utilité et le jeu de miroir entre les personnages a pris toute son ampleur.  

Enfin, une fois passé le moment de saisissement, un sentiment de répétition s’est installé et l’émotion s’est quelque peu dissipée.  

“Carnet en main, je dresse pour mon père les similitudes entre le roman que j’écris et sa fille, l’écheveau détricoté, une maille à l’envers, une maille à l’endroit, une de réel, une de fiction, et je suis la seule à connaître la vérité, m’en sens protégée. Si je blesse ma sœur, blesse notre père, pourquoi je m’épargnerais ?” 

Le roman oscille ainsi entre réalité et fiction, entraînant le lecteur dans un subtile jeu de miroir dans lequel, finalement, il n’est pas si important de ne pas confondre les récits. Il est même possible que l’auteure cherche habilement à nous perdre pour mieux appuyer son propos, estompant volontairement les frontières entre ses personnages et sa propre histoire. La tragédie d’une famille répond ainsi à celle de l’autre, l’une porte l’autre, elles s’interpénètrent et se mélangent dans un maelstrom de sentiments puissants partagés par tous les protagonistes. 

Dans ce récit qui ouvre aussi des interrogations autour de la création littéraire, Isabelle Desesquelles évoque la folie de l’amour trahi, les liens indissolubles de l’enfance, l’impossibilité du deuil, le refus de la perte mais aussi un besoin viscéral de résilience pour pouvoir poursuivre sa propre histoire en se délestant des douleurs passées et en fuyant l’engrenage fatal de l’héritage.  

Un livre à découvrir, pour la plume tout en élégance et gravité de l’auteure et cela même avec le petit bémol cité plus haut.  

Là où je nous entraîne – Isabelle Desesquelles (Editions JC Lattès – août 2022) 

A lire aussi, la chronique de UnPur 

5 commentaires sur “Là où je nous entraîne d’Isabelle Desesquelles 

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