
Au matin du 25 octobre 1941 le jour se lève sur un drame terrible qui a frappé les habitants du château d’Escoire : Georges Girard, sa sœur Amélie et Louise la bonne sont retrouvés assassinés. Tués (massacrés) à coup de serpe. Un seul survivant au milieu de ce carnage, Henri Girard, 24 ans. Il s’agit du fils de Georges. Très vite, les soupçons se portent sur lui. Mais à l’issue de dix-neuf mois d’emprisonnement et d’un procès, il est acquitté. Pourtant tout semble l’accuser : les faits sont là, le mobile est probant. Alors coupable ou non ? C’est à essayer de démêler cette énigme que va s’employer Philippe Jaenada en nous entraînant à sa suite dans les pas d’Henri Girard, sur les lieux même des faits, 70 ans plus tard.
Henri Girard, personnage haut en couleurs et aux multiples facettes, se transformera en Georges Arnaud dans une espèce de seconde vie qu’il entame après sa libération. Sous ce nom, il débute une carrière littéraire et bénéficie d’une belle notoriété (j’avoue ne pas avoir entendu parler de lui jusqu’ici). Il est ainsi l’auteur de plusieurs romans, et notamment de Le salaire de la peur dont est tiré le film de Clouzot (information que j’ignorais totalement).
Mi-aventurier, mi-bourgeois il oscille selon les époques entre la plus grande richesse (surtout après le meurtre sordide de son père et de sa tante dont il est l’unique héritier) et l’extrême pauvreté. Exilé en Amérique du Sud en 1947 il épousera tour à tour les carrières de chercheur d’or, barman ou chauffeur de camion. Il aura aussi plusieurs conquêtes féminines, se mariera, divorcera, aura des enfants.
Il sera une nouvelle fois incarcéré en 1960, à l’époque de la guerre d’Algérie, pour ne pas avoir dénoncé les participants à une conférence en faveur de l’indépendance de l’Algérie. Il sera alors soutenu par les plus grands intellectuels de l’époque.
« Une drôle de vie, avec le recul. Ce que j’en sais, je l’ai appris dans les livres. Sale gosse, sale type, des claques, insupportable, il ne mue, instantanément, qu’en anéantissant la fortune familiale, et se transforme en nomade combatif qui ne possède rien et vient en aide à ceux qui en ont besoin. Un bon gars, finalement. »
C’est cette vie à la fois très riche et nimbée d’un mystère épouvantable que nous conte Philippe Jaenada dans ce livre passionnant et très documenté. Cet homme dont l’auteur nous retrace minutieusement la vie est-il une sorte de Jekyll and Hyde ? Coupable du plus atroce des crimes ou victime de son attitude, un homme concerné par les enjeux de son époque au point de chercher à rejoindre la résistance et à s’engager lors de la guerre l’Algérie ou un manipulateur froid et retors ? Peut-il être passé en quelques années du plus épouvantable des meurtriers à cet homme à la vie certes dissolue, mais qui semble inoffensif.
C’est en épluchant les archives, en pointant les incohérences et les inexactitudes, en remontant le fil de l’histoire que l’auteur va chercher à démontrer la culpabilité ou non de son personnage. Le jeu est malin car la première partie semble nous amener vers la culpabilité certaine et on commence à se dire que Philippe Jaenada se moque de nous car, enfin, c’est quand même ce dont la plupart des gens (et la police en premier) étaient persuadés à l’époque. Et puis, petit à petit, les pièces du puzzle s’emboîtent et on commence à s’interroger. A voir, comme l’auteur, les contradictions, les lacunes dans les témoignages et dans l’enquête, les partis-pris qui concourent à faire d’Henri un parfait coupable.
Philippe Jaenada prend un malin plaisir (et nous aussi) à balader son lecteur entre considérations personnelles, anecdotes politiques, historiques ou culturelles avant de revenir à son sujet principal. C’est l’une des caractéristiques de cet auteur avec la multiplication des parenthèses voire de parenthèses dans les parenthèses comme autant de poupées russes emboîtées les unes dans les autres. Une caractéristique qui peut en agacer plus d’un mais qui moi m’amuse beaucoup.
Les livres de Philippe Jaenada nécessitent une concentration sans faille pour suivre le fil de l’intrigue principale à travers les multiples méandres de sa pensée et de son écriture. C’est exigeant mais passionnant.
Au final, on ressort de ce récit convaincu que tout n’a pas été fait pour trouver le véritable coupable de ce triple meurtre sordide et qu’on s’est arrêté à une solution de facilité qui n’a heureusement pas conduit Henri à la guillotine. Mais ne peut-on pas aussi se dire que les faits, les preuves, les témoignages et les écrits peuvent être interprétés et manipulés selon ce qu’on a envie de démontrer ? Et qu’en ce sens Philippe Jaenada réalise un exercice démonstratif parfaitement maîtrisé !
La serpe – Philippe Jaenada (Éditions Points – janvier 2020) – Prix Femina 2017
J’ai bien aimé ce livre mais les digressions de l’auteur m’ont parfois un peu lassé !
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Je comprends ! Pour moi cela fait parti des choses que j’aime bien chez cet auteur.
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J’ai beaucoup aimé, et justement les multiples digressions et retour dans la vie au présent de l’auteur, qui ont permis d’alléger un peu le drama de ce roman, j’ai aussi beaucoup ri j’avoue. Un formidable roman et une sacré enquête.
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C’est vrai qu’on s’amuse beaucoup alors que la base est vraiment terrible. C’est un auteur vraiment particulier
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Je me souviens avoir lâché ce roman vers les 100 premières pages, je n’ai pas réussi à entrer dans ces multiples digressions… peut être plus tard. Merci de ton avis !
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C’est assez perturbant cette manière d’écrire, je pense qu’il faut avoir l’esprit très disponible quand on se lance dans la lecture de Jaenada.
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Mon roman préféré de l’auteur.
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Je découvre votre blog après un passage chez L’Irrégulière…
Sacré pavé que cette « Serpe » en effet! J’ai aussi apprécié les autres ouvrages à caractère biographique de Jaenada, ainsi que ce qu’il a fait avant – humour, parenthèses qui battent la campagne, c’est agréablement déroutant.
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Je continue de découvrir cet auteur et je suis à chaque fois conquise même si ses ouvrages demandent concentration et persévérance parfois !
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En effet, il faut être bien dedans!
Je garde un souvenir particulier de « La Femme et l’Ours », plus léger, et à la sortie duquel l’auteur avait créé un blog accueillant les photos de lecteurs en phase avec le thème ou mettant le livre en scène.
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Et voilà ! Un que je n’ai pas lu…
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Je vous en souhaite une bonne découverte alors!
Les inconditionnels ne jurent que par « Le Chameau sauvage », qu’il faudra que je lise aussi…
Bonnes lectures à vous!
P.-S.: j’ai ajouté votre blog à ma bloguerolle et m’y suis abonné, afin de suivre vos publications. Donc à bientôt!
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Le chameau sauvage est dans ma PAL ! Merci pour l’ajout à la bloguerolle 🙏
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