Le Serpent majuscule de Pierre Lemaitre

Mathilde, veuve de soixante-trois ans, est une petite dame dynamique. C’est aussi une ancienne résistante qui exerce une profession pas banale puisqu’elle est tueuse à gage. Sauf que Mathilde commence un peu à fatiguer, à se mélanger les pinceaux dans ses missions et à oublier les règles qui lui permettent de ne pas se faire repérer. Ce qui va conduire à des situations ubuesques que Henri, le supérieur et vieil amoureux platonique de Mathilde, va devoir gérer alors qu’un jeune policier, René Vassiliev, commence à avoir des doutes sur cette accorte petite bonne femme.

Ce polar est celui avec lequel Pierre Lemaitre a fait ses adieux au genre mais le premier écrit par l’auteur en 1985. On y sent une véritable jubilation à aller sur ce terrain tout en se permettant d’y mêler une touche de fantaisie en mettant en scène une femme tueuse à gage affublée de pertes de mémoire qui, dans le cadre de son travail, sont véritablement fatales.  

Cette mamie flingueuse qui perd la boule et sème la mort autour d’elle est fort réjouissante et le tout est particulièrement divertissant. Sous ses airs bonhomme, Mathilde est une teigne sans cœur qui n’aime personne, pas même sa fille, et qui n’a aucune complaisance ou pitié pour qui que ce soit. Evidemment, le plaisir de la lecture réside dans cette contradiction et dans ce personnage qui trompe allègrement son monde.

« Mathilde conduit très près du volant parce qu’elle a les bras courts. Elle a soixante-trois ans, elle est petite, large et lourde. En regardant son visage, on devine qu’elle a été belle. Très belle même. Sur quelques photos remontant à la guerre, c’est une jeune fille d’une grâce étonnante, silhouette souple, cheveux blonds encadrant un visage rieur et d’une grande sensualité. »

Pierre Lemaitre y va fort avec l’humour noir et les situations décalées et n’hésite pas à dézinguer certains de ses personnages qu’on pensait être parmi les principaux. Il s’en explique d’ailleurs dans un avant-propos éclairant : « J’ai la réputation d’être assez méchant avec mes personnages et dès ce premier roman le reproche est, à mon avis, justifié. Le lecteur ne supporte pas toujours aisément la mise à mal d’un personnage auquel il s’est attaché. C’est pourtant ce qui arrive dans la vie non ? […]. Pourquoi le romancier devrait-il mettre plus de gants que la vie elle-même ? Mais ce qu’on accepte de la vie, on n’est pas toujours prêt à le pardonner à un romancier. Parce que lui avait le choix de faire autrement … et qu’il ne l’a pas fait. »

C’est un livre un peu foutraque dans lequel tout est permis grâce à ce personnage de Mathilde qui ne semble avoir aucune limite et qui, si elle perd la tête, n’a rien perdu de ses réflexes acquis au fil des années. On pensera évidemment à Audiard dans l’ironie des dialogues et des situations et parce que le récit dégage un charme suranné attachant. Pierre Lemaitre a soigné l’ensemble de ses personnages, jusqu’aux seconds voire troisièmes rôles, livrant des portraits pleins de causticité et parfois de tendresse, dans une galerie truculente et décalée.

Avec ce polar, la boucle est donc joliment bouclée pour Pierre Lemaitre, et sans doute pour ses lecteurs.

Le Serpent majuscule – Pierre Lemaitre (Editions Le Livre de Poche – avril 2022)

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17 commentaires sur “Le Serpent majuscule de Pierre Lemaitre

  1. Un bon souvenir de lecture pour moi aussi: c’est un joli polar à l’ancienne, avec ses cabines téléphoniques où l’info circule… En effet, l’auteur a quitté le genre, après quelques titres bien rigoureux et soignés.
    Bonne semaine!

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