Mikado d’enfance de Gilles Rozier

Roman lu dans le cadre des #explorateursdelarentreelitteraire de Lecteurs.com

J’ai lu d’une traite ce livre qui m’a transportée dans les années 70 et dans les pensées intimes du narrateur.

Un mail est à l’origine de la résurgence d’un pénible souvenir qui a marqué l’enfance de Gilles, miroir de l’auteur.

Nous sommes en 1975, Gilles est au collège. Par fanfaronnade ou désir de se faire bien voir de deux de ses condisciples, il se retrouve embarqué dans une sordide histoire d’antisémitisme qui vise l’un de leurs professeurs. Un événement qui lui vaudra deux semaines d’exclusion. Quarante ans après, il revient sur les faits, cherchant à les comprendre et à les analyser. Et surtout à expliquer en quoi cet incident passé a été le déclencheur d’une succession d’événements et de changements qui l’ont conduit à devenir un spécialiste de la culture juive.

«L’ardoise tenue par cette adolescente blonde indique « année scolaire 1974-1975 », mais sans la précision, l’on comprendrait au premier coup d’œil que la photo a été prise dans les années 1970. La professeure de mathématiques exhibe une coiffure à la Mireille Darc dans Le téléphone rose, version brune. Les cols de chemise sont pointus, les pantalons évasés, « pat’ d’éph » comme on disait.»

Ce livre est un véritable plaisir de lecteur. A la fois d’une grande simplicité dans la narration et complexe dans les questions qu’il éveille.

Gilles Rozier nous plonge avec réalisme dans l’ambiance des années 70. Il évoque avec pudeur les relations assez distantes que le narrateur entretient avec son père et son frère, parle en filigrane de l’homosexualité et du rapport de proximité qu’il a avec sa mère. Mais surtout il raconte avec sensibilité son grand-père mort en déportation, sa tante déportée et les douleurs d’enfance de sa mère qui se sont probablement transmises d’elle à son fils.

Au-delà de l’événement honteux qu’il a cherché à enfouir au plus profond de sa mémoire, l’auteur interroge sur la filiation et la transmission.

Le récit, pourtant très court, réussit la prouesse d’alterner des moments de vie intime avec de véritables instants de grâce, comme cette intervention de la mère de Gilles face au conseil de discipline, que je trouve à la fois si juste et si naïve : « Comment voulez-vous que mon fils soit antisémite alors que mon père est mort à Auschwitz ? ».

Le roman raconte aussi dans le détail, d’un côté, les sentiments du jeune Gilles et, de l’autre, la compréhension des événements quarante ans après à la lumière de l’histoire familiale.

«J’avais cheminé dans la vie, presque toujours avec la sensation que je n’étais pas maître de mon destin, comme si j’avais pris place à l’avant d’une locomotive et qu’à l’approche d’un aiguillage, j’ignorais si la machine emprunterait les rails de droite ou ceux de gauche. Et le chemin de fer n’avait cessé de proposer de nouveaux aiguillages, de sorte que quarante ans plus tard j’étais incapable de reconstituer le trajet, la suite de hasards, de rencontres, de fuites, d’injonctions, de tentatives d’échappement et de décisions qui m’avaient amené à vouer ma vie au yiddish, à l’hébreu, aux langues juives.»

L’auteur ne donne pas ici l’impression que l’histoire douloureuse de la famille maternelle ait été secrète, comme cela a pu être le cas dans certaines familles, mais il semble qu’en tant qu’enfant il lui a manqué certaines clés pour comprendre l’étendue de l’horreur et ce que cela impliquait.

L’ensemble de ce récit m’a touchée par ce qu’il traduit de la solitude de l’enfance, à travers les rapports que Gilles entretient avec ses camarades et avec sa famille. C’est un récit à la fois très intime et très universel qui parle à la lectrice que je suis et qui a aussi été élevée dans les années 70. C’est évidemment, et surtout, un magnifique hommage rendu aux personnes qui ont subit la déportation et dont l’histoire reste à jamais ancrée au cœur des familles.

Mikado d’enfance – Gilles Rozier (Editions L’Antilope – août 2019)

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